Le petit prince des indignés

A quelques semaines des 70 ans du Petit Prince, nous avons offert une tribune à Jean Pierre Guéno,  l’auteur de La Mémoire du Petit Prince et La Terre en Héritage.

 

LE PETIT PRINCE DES INDIGNES

En ces périodes de commémoration, alors que nous célébrons le 70ème anniversaire de la publication du petit prince et que nous célébrerons en 2014 le 70ème anniversaire de la mort d’Antoine de Saint-Exupéry, nous ne devons pas oublier que Le petit prince et son créateur sont nés trois fois : A Lyon, le 29 juin 1900 quand Marie de Saint-Exupéry donna le jour à Antoine. A Cap Juby en 1927 lorsqu’Antoine découvrit la magie du désert. Et le 23 mai 1940 au-dessus d’Arras, au cours d’une mission suicide dont l’aviateur revint par miracle. Cap Juby c’est la première prise de conscience « Pascalienne » de l’aviateur écrivain décrite dans Terre des hommes. « Ma condition. Perdu dans le désert et menacé, nu entre le sable et les étoiles, éloigné des pôles de ma vie par trop de silence. Je n’étais rien qu’un mortel égaré entre du sable et des étoiles, conscient de la seule douceur de respirer.  Et cependant je me découvris plein de songes. Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source… » Le Sahara vient de lui « enseigner une perspective ». Et puis il y a cette heure passée en enfer, en Mai 1940 et son point culminant : le spectacle de l’incendie d’Arras, la vision aiguë d’une France qui perd ses entrailles, et d’un peuple qui piétine de fatigue et d’ennui au seuil de l’éternité, l’enfer du tir de barrage convergeant vers son avion. Le combat vient de transfigurer cet homme de 40 ans. C’est la deuxième prise de conscience Pascalienne du Pilote-Ecrivain. Il vient de réaliser qu’il avait un peu oublié l’enseignement du désert. Qu’il n’avait toujours pas compris le vrai sens de la vie : « Cette communauté des hommes, je ne l’habitais plus en architecte. […] J’y logeais en sacristain, ou en chaisière. Donc en parasite. Donc en vaincu. […] Le tir a brisé une écorce. Toute cette journée-ci j’ai sans doute préparé en moi la demeure. Je n’étais que gérant grincheux. C’est ça, l’individu. Mais l’homme est apparu. Il s’est installé à ma place, tout simplement. Il a regardé la foule en vrac, et il a vu un peuple. Son peuple. L’homme, commune mesure de ce peuple et de moi. C’est pourquoi, courant vers le Groupe, il me semblait courir vers un grand feu. L’homme regardait par mes yeux — l’homme commune mesure des camarades. […] Je ne découvre rien, mais, comme au sortir du sommeil, je revois simplement ce que je ne regardais plus. »